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Individualisation de la Sanction Disciplinaire

Sanctions disciplinaires

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 17 septembre 2025 (pourvoi n° 23-22.456) réaffirme un principe fondamental du droit disciplinaire : l’employeur dispose d’un pouvoir d’individualisation des sanctions disciplinaires. Cette décision confirme qu’une même faute commise par plusieurs salariés peut légitimement donner lieu à des sanctions différenciées, sans constituer pour autant une discrimination prohibée.​

Dans cette affaire, trois travailleuses familiales d’une association d’aide à l’enfance avaient tardé à signaler des suspicions d’abus sexuels sur mineurs. Deux d’entre elles furent licenciées pour faute grave, tandis que la troisième ne reçut qu’un avertissement. La salariée licenciée contestait cette différence de traitement, invoquant une discrimination ​

Les fondements juridiques de l’individualisation

L’origine jurisprudentielle du pouvoir d’individualisation

Le pouvoir d’individualisation des sanctions disciplinaires constitue une prérogative reconnue de longue date à l’employeur par la jurisprudence. L’arrêt fondateur du 15 mai 1991 avait posé les premiers jalons de cette doctrine en admettant qu’un employeur puisse licencier certains grévistes pour faute lourde tout en se contentant d’infliger une mise à pied disciplinaire à d’autres participants aux mêmes actes

Cette jurisprudence a été constamment réaffirmée, la Cour de cassation précisant que le fait de sanctionner différemment des salariés ne constitue pas en soi une discrimination au sens de l’article L. 1132-1 du Code du travail​

Les modalités d’exercice du pouvoir d’individualisation

L’individualisation peut prendre diverses formes dans son application pratique ​

  • L’employeur peut choisir de prononcer des sanctions de gravité différente à l’encontre de salariés ayant commis des faits identiques, allant du simple avertissement au licenciement pour faute grave ou lourde

  • Il peut également décider de ne sanctionner que certains salariés tout en épargnant d’autres participants à la même faute​

  • Cette liberté s’étend même aux situations où l’employeur renonce à licencier un salarié protégé bien qu’ayant obtenu l’autorisation administrative​

Les conditions d’exercice légitime de l’individualisation

L’exigence de critères objectifs

L’arrêt du 17 septembre 2025 illustre parfaitement la nécessaire justification objective des différences de traitement. La Cour de cassation a validé la différenciation des sanctions en relevant des éléments factuels distincts : la salariée moins sévèrement sanctionnée ne suivait plus la famille concernée depuis septembre 2019 et ne pouvait donc être tenue responsable du défaut de signalement des éléments apparus en janvier et février 2020​

Les critères objectifs de différenciation reconnus

La jurisprudence a identifié plusieurs critères pouvant justifier une individualisation des sanctions ​

  • L’ancienneté respective des salariés constitue un facteur légitime de différenciation

  • Les comportements respectifs lors de la commission des faits fautifs

  • Le degré d’implication dans les faits reprochés

  • La fonction occupée par chacun des salariés

  • Le passé disciplinaire ou professionnel du salarié​

  • Les circonstances particulières entourant chaque situation individuelle

Les limites au pouvoir d’individualisation

L’interdiction des discriminations prohibées

Le pouvoir d’individualisation trouve sa première limite dans l’interdiction absolue des discriminations fondées sur les critères prohibés par l’article L. 1132-1 du Code du travail. Cette disposition interdit notamment toute sanction fondée sur l’origine, le sexe, les mœurs, la situation de famille, les opinions politiques, l’appartenance syndicale, l’âge, l’apparence physique, les convictions religieuses, l’état de santé ou le handicap.​

La jurisprudence veille strictement au respect de cette prohibition, exigeant que les différences de traitement reposent sur des éléments objectifs et légitimes.​

L’absence de détournement de pouvoir

L’exercice du pouvoir d’individualisation ne doit pas procéder d’un détournement de pouvoir de la part de l’employeur. Cette condition impose que l’utilisation différenciée du pouvoir disciplinaire soit guidée par l’intérêt de l’entreprise et non par des considérations personnelles telles que l’animosité ou la vengeance.​

Toutefois, la charge de la preuve du détournement de pouvoir repose entièrement sur le salarié qui l’invoque. Cette exigence probatoire constitue une protection significative pour l’employeur, le salarié devant démontrer que la différence de traitement procède de motivations illégitimes.​

L’évolution vers une plus grande liberté patronale

L’assouplissement des exigences jurisprudentielles

La jurisprudence a considérablement assoupli les conditions d’exercice du pouvoir d’individualisation depuis les arrêts fondateurs de 1991. Initialement, la Cour de cassation exigeait que l’employeur justifie les critères retenus pour opérer une différence de sanction. Cette obligation a progressivement été abandonnée, les arrêts ultérieurs n’imposant plus à l’employeur de motiver systématiquement ses choix disciplinaires.​

Le maintien des garde-fous essentiels

Malgré cette libéralisation, certains garde-fous demeurent pour protéger les droits fondamentaux des salariés :​

  • L’interdiction des discriminations prohibées reste absolue et constitue une limite infranchissable

  • L’exigence d’absence de détournement de pouvoir, bien que d’application pratique limitée, conserve sa fonction protectrice

  • Le principe de proportionnalité continue de s’appliquer​

Les enseignements pratiques de l’arrêt

Les bonnes pratiques pour l’employeur

L’arrêt du 17 septembre 2025 enseigne aux employeurs plusieurs bonnes pratiques :​

  1. Documenter les différences factuelles entre les situations individuelles

  2. S’appuyer sur des critères objectifs et professionnels

  3. Éviter toute référence aux critères discriminatoires prohibés

  4. Justifier les décisions par l’intérêt de l’entreprise

Les droits du salarié sanctionné

Pour le salarié qui conteste une différence de traitement disciplinaire, l’arrêt rappelle que :​

  • La simple différence de sanction ne constitue pas en soi une discrimination

  • Il appartient au salarié de prouver le caractère discriminatoire ou le détournement de pouvoir

  • Les circonstances factuelles distinctes peuvent légitimement justifier des sanctions différenciée

Du bon usage des sanctions disciplinaires

Appliquer les sanctions disciplinaires avec discernement, tant dans le choix des sanctions que dans leur communication, revêt une importance majeure. Le réseau ORPI est actuellement en train d’en faire l’amère expérience.

Les faits

Deux salariés du réseau ORPI ont, sur leur lieu de travail à Paris, eu une altercation avec une élue de la République qui a été insultée.

Celle-ci a interpellé, le jour même, la direction d’ORPI qui, en fin de journée, a produit un communiqué informant notamment du licenciement des deux salariés fautifs.

L’ensemble des faits s’est déroulé le vendredi 27 juin.

La procédure de licenciement non respectée ?

Sur le fond, insulter sur son lieu de travail un ou une élue constitue une faute grave, et la décision de licencier les salariés incriminés n’est pas choquante. Cependant, la direction d’ORPI ne semble pas avoir pris conscience de la portée de sa décision.

Le licenciement répond à un certain formalisme.

La procédure de licenciement pour motif personnel, y compris pour faute grave, impose des délais stricts à respecter par l’employeur.

Voici les étapes et les délais à respecter :

1. Convocation à l’entretien préalable : L’employeur doit convoquer le salarié à un entretien préalable par lettre recommandée avec accusé de réception ou remise en main propre. Un délai minimum de cinq jours ouvrables doit s’écouler entre la présentation de cette convocation et la date de l’entretien.

2. Entretien préalable : Lors de cet entretien, l’employeur expose les motifs du licenciement envisagé et écoute les explications du salarié. Il est important de ne pas annoncer la décision de licencier le salarié à la fin de cet entretien, car cela pourrait être considéré comme un licenciement verbal, jugé sans cause réelle et sérieuse.

3. Notification du licenciement : La décision de licenciement doit être notifiée au salarié par lettre recommandée avec accusé de réception. Cette notification doit être envoyée au plus tôt deux jours ouvrables après la date de l’entretien préalable, et au plus tard un mois après cet entretien.

Un licenciement pour faute grave ne peut pas être décidé et communiqué au salarié le jour même où la faute est commise.

Clairement, il apparaît ici que la procédure n’a pas été respectée.

Le réseau ORPI a subi une forte atteinte à son image, mais celle-ci peut encore se dégrader si les salariés licenciés attaquent aux prud’hommes.

Pour des raisons de forme, ils ont de sérieuses chances de succès, et la polarisation autour de cette décision à venir, nuira considérablement au réseau ORPI.

Une erreur de communication ?

L’enchaînement des événements de cette journée du vendredi 27 juin 2025 est délicat et maladroit de la part du réseau ORPI.

La direction d’ORPI est interpellée sur les réseaux sociaux par l’élue victime d’insultes.

C’est en fin de journée que le réseau ORPI répond par un communiqué actant le licenciement des deux salariés. Par la suite, ORPI reçoit un tweet de remerciement.

La direction d’ORPI aurait dû faire preuve de sobriété dans sa réponse, indiquant que les deux salariés en cause seraient prochainement sanctionnés.

Le fait d’indiquer publiquement et le jour même la nature de la sanction semble indiquer qu’ORPI recherche l’approbation de la victime.

Or l’élue, victime des insultes, a depuis deux ou trois ans un comportement très clivant avec un rapport ambigu à l’antisémitisme.

En recherchant de façon précipitée et excessive l’assentiment de cette élue, le réseau ORPI laisse de nombreux observateurs perplexes.

La décision est juridique, mais beaucoup, compte tenu de la communication maladroite d’ORPI, peuvent lui prêter une dimension politique sur un sujet extrêmement polarisant.

Conseil pour une sortie de crise

Certaines agences ORPI risquent d’être prises pour cible à l’avenir par des individus malveillants. Il est urgent de sortir de ce contexte malencontreux.

Deux mesures s’imposent :

* Verser des indemnités transactionnelles substantielles aux deux salariés licenciés pour les dissuader d’aller aux prud’hommes.

* Faire comprendre à l’opinion publique que la décision prise n’est qu’une décision disciplinaire et qu’elle n’a pas de caractère politique. Pour cela, un don significatif auprès d’une association engagée dans la lutte contre l’antisémitisme ou le parrainage d’un événement sur cette thématique serait habile pour déminer la situation dans laquelle s’est mis le réseau ORPI.

D’une manière générale, une décision RH ne doit jamais être prise dans la précipitation, sous la pression médiatique.