Dans un arrêt du 17 septembre 2025, la Cour de cassation a clarifié définitivement une question qui divisait la jurisprudence : l’indemnité de dédit-formation ne peut jamais être exigée en cas de licenciement, même lorsqu’il est prononcé pour faute grave. Cette décision marque un tournant dans l’interprétation des clauses de dédit-formation et renforce la protection des salariés face aux tentatives de récupération des frais de formation par les employeurs.
La clause de dédit-formation, devenue courante dans les entreprises investissant massivement dans la formation de leurs salariés, trouve désormais ses limites clairement définies. Cette jurisprudence établit une distinction nette entre l’initiative de la rupture du contrat de travail et son imputabilité, confirmant que seule la première compte pour l’application de ces clauses contractuelles.
La clause de dédit-formation : principe et conditions de validité
Définition et objectif de la clause de dédit-formation
La clause de dédit-formation est une stipulation contractuelle par laquelle le salarié s’engage à rester dans l’entreprise pendant une durée déterminée après avoir bénéficié d’une formation financée par l’employeur. En contrepartie de cet investissement formatif, le salarié accepte de rembourser tout ou partie des frais engagés s’il quitte l’entreprise avant l’échéance prévue.
Cette clause présente un double objectif : d’une part, elle permet à l’employeur de sécuriser son investissement en formation et d’amortir les coûts engagés ; d’autre part, elle constitue un mécanisme incitatif pour fidéliser les salariés ayant bénéficié de formations qualifiantes.
Les conditions légales de validité
Pour être valable, la clause de dédit-formation doit respecter des conditions strictes établies par la jurisprudence :
L’écrit préalable : La clause doit être signée avant le début de la formation et faire l’objet d’une convention particulière précisant la nature, la durée, le coût réel de la formation ainsi que les modalités de remboursement.
La proportionnalité : L’indemnité prévue doit être proportionnée aux frais réellement engagés par l’employeur, excluant les rémunérations perçues pendant la formation. Les coûts pris en compte ne peuvent inclure que les dépenses supplémentaires dépassant les obligations légales ou conventionnelles de l’employeur.
La préservation du droit de démissionner : La clause ne doit pas avoir pour effet de priver le salarié de sa faculté de démissionner. Sa durée et son montant doivent rester raisonnables.
Les formations concernées et exclues
La clause de dédit-formation ne peut s’appliquer qu’aux formations dont le coût dépasse les dépenses légales ou conventionnelles imposées à l’employeur. Sont notamment exclues les formations relevant du plan de développement des compétences obligatoires, celles financées par les OPCO, les collectivités territoriales ou l’État.
Le Code du travail interdit expressément l’application de ces clauses aux salariés en contrat de professionnalisation, reconnaissant la nature formatrice inhérente de ce type de contrat.
L’arrêt de la Cour de cassation du 17 septembre 2025 : une jurisprudence clarifiée
Les faits de l’espèce
L’affaire jugée par la Cour de cassation concernait un salarié, personnel navigant technique d’une compagnie aérienne polynésienne, qui avait bénéficié d’une formation qualifiante d’un coût supérieur à 3,9 millions de francs CFP. Son contrat de travail prévoyait le remboursement proratisé de la formation « en cas de rupture de son fait »
Licencié pour faute grave, le salarié s’est vu retenir 400 000 francs CFP sur son dernier salaire au titre de l’indemnité de dédit-formation. L’employeur justifiait cette retenue en considérant que la faute grave rendait la rupture imputable au salarié, activant ainsi la clause contractuelle.
La position des juges d’appel
Dans un premier temps, la cour d’appel avait validé cette retenue, estimant que le licenciement pour faute grave rendait le salarié responsable de la rupture du contrat de travail. Cette interprétation s’appuyait sur l’idée que la faute commise par le salarié constituait la cause directe de son licenciement.
Cette position reflétait une certaine confusion jurisprudentielle qui persistait depuis un arrêt de 2005 où la Cour de cassation avait semblé admettre l’application d’une clause de dédit-formation en cas de licenciement pour faute grave.
La décision de la Cour de cassation
La Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel, réaffirmant avec force que « une clause de dédit-formation ne peut être mise en œuvre lorsque la rupture du contrat de travail est imputable à l’employeur ». Elle précise que même si la faute rend la rupture imputable au salarié, l’initiative en revient à l’employeur, ce qui suffit à écarter l’application de la clause.
Cette décision établit définitivement que l’initiative prime sur l’imputabilité dans l’application des clauses de dédit-formation. Peu importe que le comportement du salarié ait justifié le licenciement : dès lors que l’employeur prend l’initiative de rompre le contrat, la clause devient inapplicable.
Initiative vs imputabilité : une distinction fondamentale
La différence entre initiative et imputabilité de la rupture
La jurisprudence de 2025 consacre une distinction conceptuelle majeure entre deux notions souvent confondues : l’initiative de la rupture et son imputabilité. L’initiative désigne la partie qui décide effectivement de mettre fin au contrat de travail, tandis que l’imputabilité concerne la responsabilité des circonstances ayant conduit à cette rupture.
Dans le cas d’un licenciement pour faute grave, l’imputabilité peut certes être attribuée au salarié en raison de son comportement fautif, mais l’initiative de la rupture reste entièrement du côté de l’employeur qui décide de licencier. Cette distinction évite toute instrumentalisation de la clause de dédit-formation comme moyen de récupération financière déguisé.
Les cas d’application de la clause de dédit-formation
La clause de dédit-formation ne peut s’appliquer que lorsque la rupture émane de l’initiative du salarié. Les situations concernées incluent :
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La démission classique du salarié
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La rupture de la période d’essai à l’initiative du salarié
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La prise d’acte de la rupture produisant les effets d’une démission
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La résiliation judiciaire aux torts de l’employeur mais à la demande du salarié, si elle produit les effets d’une démission
Dans tous ces cas, le salarié assume pleinement sa décision de quitter l’entreprise, justifiant l’activation de la clause de dédit-formation selon les modalités contractuelles prévues.
Les situations d’exclusion
Inversement, la clause ne peut jamais s’appliquer lorsque la rupture est à l’initiative de l’employeur, quelles que soient les circonstances :
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Tous types de licenciement (économique, personnel, pour faute simple, grave ou lourde)
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La rupture conventionnelle, considérée comme une rupture d’un commun accord n’étant imputable à aucune des parties
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La résiliation judiciaire aux torts du salarié mais prononcée par le juge
Cette jurisprudence protège efficacement les salariés contre les tentatives de contournement par des employeurs qui chercheraient à récupérer leurs investissements formation par le biais de licenciements stratégiques.
Conséquences pratiques pour les employeurs et les salariés
Impact sur la rédaction des clauses de dédit-formation
Cette jurisprudence impose une révision complète des pratiques contractuelles. Les employeurs ne peuvent plus espérer récupérer leurs investissements formation par le biais de licenciements, même justifiés par des fautes graves. Les clauses de dédit-formation doivent désormais être rédigées en acceptant cette limitation fondamentale.
Certains praticiens s’interrogent néanmoins sur la possibilité de rédiger des clauses prévoyant expressément l’application en cas de licenciement pour faute. Cependant, la fermeté de l’arrêt de 2025 suggère que même une stipulation contractuelle explicite ne pourrait contourner ce principe jurisprudentiel
Recommandations pour les employeurs
Face à cette jurisprudence, les employeurs doivent repenser leur stratégie de sécurisation des investissements formation. Plusieurs recommandations s’imposent :
Sélection rigoureuse des bénéficiaires : L’investissement formation devenant moins sécurisé juridiquement, une évaluation préalable approfondie du potentiel de fidélisation des salariés devient cruciale.
Diversification des mécanismes de fidélisation : Les employeurs peuvent développer d’autres outils de rétention (évolution de carrière, rémunération attractive, conditions de travail optimisées) complémentaires à la formation.
Optimisation de la durée des clauses : Les clauses de dédit-formation doivent être calibrées pour maximiser leur efficacité dissuasive tout en respectant les principes de proportionnalité.
Cette évolution jurisprudentielle s’inscrit dans une logique de protection du salarié et de promotion de la formation professionnelle, en évitant que les investissements formatifs ne deviennent des instruments de contrainte excessive. Les employeurs doivent désormais intégrer cette limitation dans leur stratégie de gestion des ressources humaines