Report congés payés maladie : arrêt Cour cassation 2025

DDADUE maladie

La Cour de cassation a rendu le 10 septembre 2025 un arrêt marquant qui bouleverse fondamentalement la gestion des congés payés en France. Dans cette décision historique, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire reconnaît désormais le droit pour un salarié tombant malade pendant ses congés payés de les reporter ultérieurement.

Cette évolution jurisprudentielle met fin à une position constante depuis 1996, selon laquelle « le salarié qui tombe malade pendant ses congés payés est réputé avoir pris ses congés payés et ne peut prétendre ni à une prolongation de son congé ni à un report des congés payés correspondant à la période d’arrêt de travail ». Désormais, le salarié en situation d’arrêt de travail pour cause de maladie survenue durant la période de congé annuel payé a le droit de bénéficier ultérieurement des jours de congé payé coïncidant avec la période d’arrêt de travail pour maladie, sous réserve que l’arrêt soit notifié à l’employeur.

L’articulation complexe avec la loi DDADUE du 22 avril 2024

Les apports complémentaires de la loi DDADUE

La loi n°2024-364 du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne (DDADUE) avait déjà partiellement aligné le droit français sur les exigences européennes. Cette réforme a introduit des règles précises d’acquisition des congés payés pendant les arrêts de travail.

Pour les maladies non professionnelles : acquisition de 2 jours ouvrables par mois (soit 24 jours maximum par an), contre 2,5 jours en temps normal. Cette limitation représente 80% des droits habituels, dans le respect du minimum européen de 4 semaines.

Pour les accidents du travail et maladies professionnelles : maintien de l’acquisition de 2,5 jours ouvrables par mois sans limitation de durée

Une lacune comblée par la jurisprudence

Cependant, la loi DDADUE était restée silencieuse sur le sort des congés payés lorsque la maladie survient pendant leur prise effective. L’arrêt du 10 septembre 2025 comble cette lacune en consacrant le principe du report, avec une période maximale de 15 mois prévue par la loi DDADUE.

Cette articulation crée un système cohérent où les salariés peuvent à la fois acquérir des congés pendant leur maladie et les reporter s’ils tombent malades pendant leurs vacances, garantissant ainsi un repos effectif conforme aux exigences européennes.

La pression européenne : une mise en demeure déterminante

La procédure d’infraction du 18 juin 2025

L’arrêt de la Cour de cassation s’inscrit dans un contexte de forte pression européenne. Le 18 juin 2025, la Commission européenne a adressé une lettre de mise en demeure à la France pour manquement aux règles de l’Union européenne sur le temps de travail. La Commission reprochait à la France de ne pas garantir « que les travailleurs qui tombent malades pendant leur congé annuel puissent récupérer ultérieurement les jours de congé annuel qui ont coïncidé avec leur maladie

Cette procédure d’infraction, basée sur la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, donnait à la France un délai de deux mois pour se conformer au droit européen. L’arrêt du 10 septembre, rendu dans ce délai critique, constitue une réponse directe à cette mise en demeure.

La jurisprudence européenne comme référence

La Cour de cassation s’appuie explicitement sur l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE et la jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne. Notamment l’arrêt Anged du 21 juin 2012 (C-78/11), qui précise que « le moment où est survenue ladite incapacité est dépourvu de pertinence », qu’elle survienne avant ou pendant le congé

Implications majeures pour les services des ressources humaines

Adaptations organisationnelles immédiates

Les départements RH font face à des défis opérationnels considérables. L’obligation d’accepter le report devient immédiate, nécessitant une révision complète des procédures internes. Les entreprises doivent notamment adapter leurs logiciels de paie et de gestion des temps et activités (GTA) pour intégrer automatiquement cette nouvelle règle.

La formation des équipes RH devient cruciale pour maîtriser les subtilités de cette évolution, notamment la distinction entre les différents types d’arrêts et leurs conséquences sur les droits à congés. Le suivi renforcé des notifications d’arrêts maladie pendant les congés constitue également un enjeu majeur, la notification à l’employeur étant la condition sine qua non du droit au report

Risques contentieux et gestion des régularisations

Les services RH doivent anticiper un risque accru de litiges. Les salariés peuvent désormais contester tout refus ou omission de report en s’appuyant sur la jurisprudence européenne et française. Certains salariés pourraient également introduire des demandes de rappels de congés payés dans un cadre amiable ou contentieux.

La gestion des demandes de régularisation rétroactives représente un défi particulier. Bien que la loi DDADUE prévoie un délai de forclusion de deux ans à compter de sa publication, les entreprises doivent se préparer à traiter des demandes concernant des périodes antérieures

Communication et accompagnement du changement

Les RH doivent mettre en place une communication transparente aux salariés sur leurs nouveaux droits, tout en expliquant les modalités pratiques d’exercice de ces droits. Cette communication doit être particulièrement soignée pour éviter les incompréhensions et les contentieux.

La stratégie de limitation du pouvoir exécutif

Une volonté affichée de tempérer les effets

Face aux implications financières considérables de cette évolution jurisprudentielle, le pouvoir exécutif a développé une stratégie de limitation des effets. Cette approche s’est concrétisée dès l’avis du Conseil d’État du 13 mars 2024, sollicité par le Premier Ministre Gabriel Attal

Le Conseil d’État a validé la possibilité de limiter à 4 semaines par an les congés payés acquis par un salarié en arrêt maladie d’origine non professionnelle, soit 80% des droits normaux. Cette limitation s’appuie sur le fait que la directive européenne n’impose qu’un minimum de 4 semaines, alors que le droit français prévoit 5 semaines

Les garde-fous de la loi DDADUE

La loi du 22 avril 2024 a intégré plusieurs mécanismes de limitation :

Plafonnement des acquisitions : 2 jours ouvrables par mois pour les maladies non professionnelles, contre 2,5 en temps normal.

Délai de forclusion : fixation d’une période de 2 ans pour introduire des actions concernant des périodes antérieures au 1er décembre 2009

Report limité : période maximale de 15 mois pour exercer le droit au report

Une distinction assumée entre types d’arrêts

Le gouvernement maintient une différenciation entre les accidents du travail/maladies professionnelles (2,5 jours par mois) et les maladies simples (2 jours par mois). Cette distinction, validée par le Conseil d’État, vise à équilibrer protection sociale et soutenabilité économique pour les entreprises

Perspectives d’évolution et enjeux futurs

Vers une modification législative nécessaire

Bien que l’arrêt du 10 septembre réponde partiellement à la mise en demeure européenne, une modification du Code du travail semble inévitable. Le législateur devra explicitement consacrer le droit au report des congés en cas de maladie pendant leur prise, en définissant précisément les modalités d’exercice et les conditions.

L’impact sur la compétitivité des entreprises

Cette évolution soulève des interrogations sur l’impact économique pour les employeurs, particulièrement les TPE et PME. Les organisations patronales, notamment le Syndicat des indépendants, alertent sur les risques de « destruction de l’emploi ». La délégation aux entreprises du Sénat a d’ailleurs saisi le ministre du Travail.

Un équilibre délicat à maintenir

L’enjeu pour les pouvoirs publics consiste à maintenir un équilibre entre la protection des droits des salariés, exigée par le droit européen, et la préservation de la compétitivité des entreprises françaises. La stratégie de limitation mise en œuvre par le gouvernement témoigne de cette recherche d’équilibre, mais son efficacité à long terme reste à démontrer.

Conclusion

L’arrêt du 10 septembre 2025 marque une étape décisive dans l’harmonisation du droit français avec les standards européens de protection sociale. Pour les services RH, cette évolution impose une adaptation rapide et structurée, nécessitant une approche proactive pour maîtriser les risques tout en respectant les nouveaux droits des salariés. La tension entre les exigences européennes et la volonté gouvernementale de limitation des effets continuera probablement d’alimenter les débats dans les mois à venir.

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