Archives de catégorie : Droit du Travail

Préavis en cas de licenciement pour inaptitude : impact sur l’ancienneté et autres conséquences

Inaptitude et préavis

Le licenciement pour inaptitude constitue une procédure spécifique du droit du travail français qui soulève de nombreuses questions, notamment concernant le préavis et son impact sur l’ancienneté du salarié. Cette situation particulière, où le salarié ne peut physiquement pas exercer ses fonctions, génère des conséquences juridiques importantes qu’il convient d’analyser en détail.

1. Les principes fondamentaux du préavis en cas de licenciement pour inaptitude

1.1 L’absence d’exécution du préavis : une règle générale

En cas de licenciement pour inaptitude, le principe fondamental est que le salarié n’exécute pas de préavis. Cette règle découle logiquement de l’impossibilité physique ou mentale du salarié à occuper son poste de travail, constatée par le médecin du travail.

Le contrat de travail est rompu à la date de notification du licenciement, contrairement aux licenciements classiques où la rupture intervient à l’issue du préavis. Cette spécificité s’explique par l’état de santé du salarié qui l’empêche de fournir sa prestation de travail.

1.2 Distinction selon l’origine de l’inaptitude

Les conséquences du préavis varient significativement selon que l’inaptitude est d’origine professionnelle ou non professionnelle :

 Inaptitude d’origine professionnelle
– Définition : Inaptitude consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle
– Indemnité compensatrice : Le salarié bénéficie d’une indemnité égale à l’indemnité compensatrice de préavis
– Nature juridique : Cette indemnité n’est pas techniquement un préavis mais une indemnité spécifique de protection

 Inaptitude d’origine non professionnelle
– Définition : Inaptitude consécutive à une maladie ou un accident non professionnel
– Principe : Absence d’indemnité compensatrice de préavis
– Exception: Possible indemnisation si les dispositions conventionnelles le prévoient expressément

 2. Impact du préavis sur l’ancienneté : règles et calculs

 2.1 Prise en compte de la durée du préavis pour l’ancienneté

Malgré la non-exécution du préavis, la durée théorique du préavis est prise en compte pour déterminer l’ancienneté servant au calcul de l’indemnité de licenciement. Cette règle s’applique dans les deux types d’inaptitude.

Principe de calcul :
– L’ancienneté est calculée jusqu’à la date de fin théorique du préavis
– Cette règle s’applique même si le préavis n’est pas exécuté
– Elle concerne uniquement le calcul de l’indemnité de licenciement

2.2 Exemple pratique de calcul

Situation : Un salarié avec 8 ans et 3 mois d’ancienneté au moment de la notification du licenciement, avec un préavis théorique de 2 mois.

Calcul de l’ancienneté pour l’indemnité :
– Ancienneté réelle : 8 ans et 3 mois
– Durée du préavis : 2 mois
– Ancienneté retenue : 8 ans et 5 mois

Cette ancienneté majorée sera utilisée pour calculer l’indemnité de licenciement selon le barème légal :
– 1/4 de mois de salaire par année d’ancienneté (10 premières années)
– 1/3 de mois de salaire par année d’ancienneté (années suivantes)

2.3 Différence avec les autres droits sociaux

Important : Cette règle de majoration de l’ancienneté ne s’applique qu’au calcul de l’indemnité de licenciement. Elle n’affecte pas :
– Les droits à la retraite
– L’ancienneté pour d’autres calculs sociaux
– Les droits aux congés payés
– L’ancienneté conventionnelle pour d’autres avantages

 3. Les différentes indemnisations selon l’origine de l’inaptitude

 3.1 Inaptitude d’origine professionnelle : protection renforcée

Indemnités dues :
1. Indemnité spéciale de licenciement : Double de l’indemnité légale de licenciement
2. Indemnité compensatrice équivalente au préavis : Montant égal à ce que le salarié aurait perçu pendant le préavis
3. Indemnité compensatrice de congés payés : Si applicable

 Spécificités importantes :
– La durée de préavis prise en compte est la durée légale, non conventionnelle
– Le doublement ne s’applique pas aux dispositions conventionnelles plus favorables
– Cette indemnité n’est pas techniquement un préavis (pas d’acquisition de congés payés)

3.2 Inaptitude d’origine non professionnelle : régime restrictif

 Indemnités dues :
1. Indemnité légale de licenciement (ou conventionnelle si plus favorable)
2. Pas d’indemnité compensatrice de préavis (sauf convention collective expresse)
3. Indemnité compensatrice de congés payés : Si applicable

Exception jurisprudentielle :
Le salarié peut percevoir une indemnité compensatrice de préavis si le licenciement est requalifié sans cause réelle et sérieuse par le conseil de prud’hommes, notamment en cas de :
– Manquement à l’obligation de recherche de reclassement
– Non-consultation du CSE
– Défaut de justification de l’impossibilité de reclassement

4. Le délai d’un mois et ses conséquences financières

4.1 L’obligation de reprise du salaire

Règle fondamentale : Si l’employeur ne procède ni au reclassement ni au licenciement dans un délai d’un mois à compter de la déclaration d’inaptitude, il doit reprendre le versement du salaire.

Modalités :
– Le délai court à partir de l’examen médical (non de la notification de l’avis)
– Le salaire versé correspond à celui de l’emploi occupé avant la suspension
– Cette obligation perdure jusqu’au reclassement ou au licenciement effectif

 4.2 Conséquences pratiques

Cette règle crée une incitation forte pour l’employeur à agir rapidement :
– Coût financier : Versement du salaire sans contrepartie de travail
– Pression temporelle : Nécessité d’organiser rapidement la procédure
– Risque juridique: Sanctions en cas de non-respect

5. Impacts sur les droits sociaux et avantages

5.1 Conservation des avantages en nature

Pendant la période théorique du préavis (même non exécuté), le salarié conserve certains droits :
– Voiture de fonction : Maintenue si considérée comme avantage en nature
– Assurance complémentaire : Selon les dispositions conventionnelles
– Autres avantages contractuels : Maintenus théoriquement

5.2 Droits électoraux et syndicaux

Le statut de salarié est maintenu jusqu’à la date de fin théorique du préavis, préservant :
– Les droits de vote aux élections professionnelles
– Les prérogatives syndicales
– La protection contre le licenciement pour les représentants du personnel

5.3 Impact sur le chômage

La date de rupture effective (notification du licenciement) détermine :
– Le point de départ des droits à l’allocation chômage
– Les éventuels différés d’indemnisation
– Le calcul de l’allocation de retour à l’emploi

 6. Jurisprudence récente et évolutions

6.1 Tendances jurisprudentielles

La Cour de cassation a récemment précisé plusieurs points :

Sur l’indemnité compensatrice en inaptitude non professionnelle :
– Principe strict : Pas d’indemnité sauf disposition conventionnelle expresse
– Interprétation restrictive : Une simple mention du préavis dans la convention ne suffit pas
– Exigence de clarté : La convention doit explicitement prévoir l’indemnisation

Sur le délai d’un mois :
– Point de départ : L’examen médical, non la notification de l’avis
– Caractère impératif : Aucune suspension possible du délai
– Sanctions : Reprise obligatoire du salaire en cas de dépassement

6.2 Évolutions réglementaires récentes

L’arrêté du 3 mars 2025 a modernisé les modèles d’avis d’inaptitude, mais n’a pas modifié les règles de fond concernant :
– Les délais de procédure
– Les indemnisations
– L’impact sur l’ancienneté

 7. Conseils pratiques et bonnes pratiques

7.1 Pour l’employeur

Gestion des délais :
– Anticiper la visite de reprise après arrêt maladie
– Organiser rapidement la recherche de reclassement
– Respecter le délai d’un mois sous peine de reprise du salaire
– Documenter toutes les démarches de reclassement

Procédure à suivre :
1. Visite médicale de reprise obligatoire
2. Recherche active de postes de reclassement
3. Consultation du CSE si nécessaire
4. Entretien préalable dans les règles
5. Notification motivée du licenciement

7.2 Pour le salarié

Protection des droits :
– Vérifier le respect des délais par l’employeur
– Exiger une justification écrite en cas d’impossibilité de reclassement
– Contrôler le calcul des indemnités, notamment l’ancienneté
– Conserver tous les documents médicaux et échanges

Actions possibles :
– Contester l’avis d’inaptitude si non fondé
– Saisir les prud’hommes en cas de vice de procédure
– Réclamer les salaires dus en cas de dépassement du délai d’un mois

8. Cas particuliers et situations spécifiques

8.1 Inaptitude temporaire vs définitive

Inaptitude temporaire :
– Possibilité de réexamen médical
– Suspension temporaire du contrat
– Maintien des droits et de l’ancienneté

Inaptitude définitive:
– Procédure de licenciement obligatoire
– Calcul définitif des indemnités
– Rupture du contrat

 8.2 Salariés protégés

Les représentants du personnel et autres salariés protégés bénéficient de garanties supplémentaires :
– Autorisation administrative nécessaire
– Procédure renforcée de consultation
– Délais prolongés pour la procédure
– Protection maintenue pendant la procédure

 8.3 Inaptitude partielle

En cas d’inaptitude partielle à certaines tâches :
– Aménagement possible du poste
– Reclassement sur fonctions compatibles
– Maintien dans l’entreprise privilégié
– Licenciement en dernier recours uniquement

Le préavis en cas de licenciement pour inaptitude présente des spécificités importantes qui impactent significativement les droits du salarié et les obligations de l’employeur. Bien que le préavis ne soit jamais exécuté dans ce contexte, sa durée théorique influence le calcul de l’ancienneté pour l’indemnité de licenciement, constituant un élément protecteur important pour le salarié.

La distinction entre inaptitude professionnelle et non professionnelle demeure cruciale, déterminant le niveau d’indemnisation et les droits du salarié. Les employeurs doivent particulièrement veiller au respect du délai d’un mois sous peine de devoir reprendre le versement du salaire, tandis que les salariés doivent être vigilants sur le calcul de leurs indemnités et le respect de la procédure.

L’évolution jurisprudentielle tend vers une interprétation stricte des textes, particulièrement concernant l’indemnité compensatrice de préavis en cas d’inaptitude non professionnelle, nécessitant une analyse précise des dispositions conventionnelles applicables.

Cette complexité juridique rend indispensable une approche préventive et une connaissance approfondie des règles applicables pour sécuriser les relations de travail et protéger les droits de chacune des parties.

Le refus du CDI après un CDD, quelles conséquences ?

Refus CDI

Depuis le 1er janvier 2024, le paysage juridique français a considérablement évolué concernant les droits des salariés en contrat à durée déterminée (CDD) qui refusent une proposition de contrat à durée indéterminée (CDI). La loi du 21 décembre 2022 relative au marché du travail, complétée par le décret du 28 décembre 2023, a instauré de nouvelles règles qui peuvent affecter l’accès aux allocations chômage.

Cette réforme majeure vise à encourager l’acceptation d’emplois stables tout en modifiant profondément les droits des salariés précaires. Il est essentiel de comprendre ces nouvelles dispositions pour faire des choix éclairés concernant son parcours professionnel.

Le Nouveau Dispositif : Principe et Application

La Règle des Deux Refus

Le mécanisme central de cette réforme repose sur une règle simple mais aux conséquences importantes : un salarié qui refuse deux propositions de CDI au cours des 12 mois précédents peut se voir privé de ses droits à l’assurance chômage.

Cette mesure s’applique aux salariés en :

  • CDD (contrat à durée déterminée)

  • Contrat de mission d’intérim

Conditions d’Application du Dispositif

Pour que le refus d’un CDI puisse entraîner une privation des droits au chômage, plusieurs conditions strictes doivent être respectées:

Pour les salariés en CDD, la proposition de CDI doit porter sur :

  • Un emploi identique ou similaire à celui occupé

  • Une rémunération au moins équivalente

  • Une durée de travail équivalente

  • Une classification identique

  • Le même lieu de travail

Pour les salariés en intérim, la proposition doit concerner :

  • Un emploi identique ou similaire à la mission

  • Le même lieu de travail

Obligations de l’Employeur

Formalisme de la Proposition

Depuis janvier 2024, l’employeur qui souhaite proposer un CDI doit respecter un formalisme strict:

  • Notification écrite de la proposition avant le terme du contrat

  • Proposition transmise par :

    • Lettre recommandée avec accusé de réception

    • Lettre remise en main propre contre décharge

    • Tout autre moyen donnant date certaine à la réception

  • Délai raisonnable accordé au salarié pour répondre

  • Mention que l’absence de réponse vaut refus

Déclaration à France Travail

En cas de refus du salarié, l’employeur a désormais l’obligation d’informer France Travail (ex-Pôle emploi) dans un délai d’un mois. Cette déclaration s’effectue via une plateforme dématérialisée dédiée accessible à l’adresse : https://www.demarches-simplifiees.fr/commencer/refus-de-cdi-informer-francetravail.

Les informations à fournir incluent :

  • Identité de l’entreprise et du salarié

  • Détails du CDD et de la proposition de CDI

  • Justification du caractère similaire de l’emploi

  • Date du refus ou d’expiration du délai

Exceptions au Dispositif

Situations Préservant les Droits

Le dispositif prévoit deux exceptions importantes permettant au salarié de conserver ses droits aux allocations chômage:

  1. Emploi en CDI antérieur : Si le salarié a été employé en CDI au cours des 12 mois précédents

  2. Non-conformité au PPAE : Si la dernière proposition de CDI n’est pas conforme au Projet Personnalisé d’Accès à l’Emploi élaboré avec France Travail avant le dernier refus

Le Projet Personnalisé d’Accès à l’Emploi (PPAE)

Le PPAE constitue une protection importante pour les salariés. Il s’agit d’un document élaboré avec un conseiller France Travail qui définit les objectifs professionnels et les critères d’emploi acceptables. Attention : ce projet doit avoir été établi avant le dernier refus de CDI pour être opposable

Conséquences sur l’Indemnité de Précarité

Perte de la Prime de Précarité

Indépendamment des droits au chômage, le refus d’un CDI entraîne automatiquement la perte de l’indemnité de fin de contrat (prime de précarité). Cette indemnité, équivalente à 10% de la rémunération brute totale perçue durant le CDD, n’est plus due dès lors que :

  • L’employeur propose un CDI pour le même emploi ou similaire

  • Avec une rémunération au moins équivalente

  • Avant la fin du CDD

Jurisprudence Récente

La Cour de cassation a confirmé dans un arrêt du 3 juillet 2024 que cette règle s’applique même si l’employeur savait que le salarié ne souhaitait pas poursuivre la relation de travail. Le simple fait d’avoir formulé une proposition de CDI suffit à faire perdre le bénéfice de la prime en cas de refus.

Procédure et Délais

Chronologie du Processus

  1. Proposition écrite de CDI avant la fin du contrat

  2. Délai raisonnable laissé au salarié (généralement 7 jours minimum7)

  3. Refus explicite ou implicite (absence de réponse)

  4. Déclaration à France Travail dans le mois suivant

  5. Information du salarié par France Travail des conséquences

Déclaration en DSN

À partir du 1er janvier 2025, une obligation supplémentaire s’ajoute : la déclaration du refus doit également figurer dans la Déclaration Sociale Nominative (DSN) au moment de la fin du contrat. Cette double déclaration renforce le contrôle administratif du dispositif.

Critiques et Contestations

Opposition Syndicale

Le dispositif fait l’objet de vives critiques de la part des organisations syndicales. La CGT, FSU et Solidaires ont attaqué le décret devant le Conseil d’État, dénonçant notamment:

  • Une restriction supplémentaire de l’accès aux droits

  • La transformation des employeurs en « délateurs »

  • L’absence de possibilité pour le salarié de faire valoir un motif légitime de refus

Position du Conseil d’État

Le Conseil d’État a refusé de transmettre au Conseil constitutionnel une QPC portant sur ces dispositions, estimant dans une décision du 24 juillet 2024 que l’obligation de notification incombant à l’employeur est « sans effet sur les droits du salarié ».

Recommandations Pratiques

Pour les Salariés

Avant de refuser un CDI :

  • Vérifiez si vous avez déjà refusé un CDI dans les 12 derniers mois

  • Consultez votre PPAE avec votre conseiller France Travail

  • Évaluez l’impact financier (perte de prime de précarité et risque de privation d’allocations)

  • Considérez la négociation des conditions d’emploi

En cas de premier refus :

  • Soyez conscient que le second refus pourrait vous priver d’allocations

  • Documentez vos raisons de refus

  • Maintenez le contact avec France Travail

Pour les Employeurs

  • Respectez scrupuleusement le formalisme requis pour la proposition

  • Documentez précisément la similarité entre les postes

  • Effectuez la déclaration à France Travail dans les délais

  • Préparez-vous à la déclaration DSN à partir de 2025

Impact et Perspectives

Objectifs Gouvernementaux

Cette réforme s’inscrit dans la stratégie gouvernementale visant à :

  • Réduire le taux de chômage et favoriser le plein emploi

  • Limiter le recours aux contrats précaires

  • Réaliser des économies sur l’assurance chômage

Difficultés d’Application

Plusieurs acteurs du marché du travail soulignent les difficultés pratiques d’application de cette mesure, notamment :

  • La lourdeur administrative pour les employeurs

  • Les réticences déontologiques de certains dirigeants à « dénoncer » leurs salariés

  • La complexité d’évaluation de la similarité des emplois

Un mécanisme contraignant

La réforme de 2024 concernant le refus de CDI après un CDD marque un tournant majeur dans le droit du travail français. Elle instaure un mécanisme contraignant qui peut avoir des conséquences financières importantes pour les salariés en contrats précaires.

Cette évolution législative nécessite une vigilance accrue de la part des salariés et une adaptation des pratiques pour les employeurs. Il est essentiel de bien comprendre ces nouvelles règles pour préserver ses droits et faire des choix professionnels éclairés.

Face à cette complexification du droit, l’accompagnement par les services de France Travail et le conseil juridique spécialisé deviennent plus que jamais indispensables pour naviguer dans ce nouveau cadre réglementaire.

Les prochains mois permettront d’évaluer l’impact réel de cette réforme sur le marché du travail et sur la situation des salariés précaires, dans un contexte où l’équilibre entre flexibilité de l’emploi et protection sociale continue d’évoluer.

 

Arrêt maladie pendant un congé, une situation à éclaircir

malade pendant les congés payés

Tomber malade pendant ses vacances: cette situation désagréable concerne chaque année des milliers de salariés français. Mais contrairement à ce que l’on pourrait penser,la législation française ne prévoit aucun report automatique des congés payés lorsqu’un salarié tombe malade durant ses vacances.
Cette position, maintenue depuis des décennies, entre en contradiction flagrante avec le droit européen.

Le 18 juin 2025, la Commission européenne a franchi un nouveau cap en adressant une lettre de mise en demeure à la France, lui donnant deux mois pour se conformer aux règles européennes.
Cette procédure d’infraction pourrait aboutir à des sanctions financières sans évolution de la règle légale.

La Position Française Actuelle : Des Congés « Perdus »

Le Principe de Non-Report en Droit Français

En France, la règle est claire mais défavorable aux salariés : lorsqu’un arrêt de travail pour maladie intervient pendant une période de congés payés déjà entamée, ces congés ne sont pas reportés. Cette position repose sur ce que les juristes appellent « la règle de la cause de suspension initiale ».

Le raisonnement juridique français est le suivant :
– Le contrat de travail est déjà suspendu au titre des congés payés
– Il ne peut donc être suspendu une seconde fois au titre de l’arrêt maladie
– Les congés continuent d’être décomptés normalement

Concrètement, cela signifie que :
– L’employeur continue de verser l’indemnité de congés payés
– Le salarié peut percevoir en plus les indemnités journalières de la Sécurité sociale
– Mais les jours de congés sont définitivement « consommés »

La Distinction formelle avec l’Arrêt Maladie Préalable

Il est important de distinguer deux situations très différentes :

1. Arrêt maladie AVANT les congés : Le Code du travail prévoit expressément le report des congés payés programmés qui coïncident avec la période d’arrêt maladie. Le salarié pourra prendre ses congés ultérieurement.

2. Arrêt maladie PENDANT les congés : Aucune disposition du Code du travail ne prévoit de report. C’est cette lacune que dénonce l’Europe.

Les Exceptions Conventionnelles du report des CP en de maladie survenue pendant les congés

Certaines conventions collectives prévoient des dispositions plus favorables. C’est notamment le cas de :
– La convention collective des Établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées
– La convention collective des Missions locales et PAIO

Ces accords permettent le report des congés en cas de maladie survenue pendant les vacances.

La Position Européenne : Un Droit au Repos Effectif

Les Fondements du Droit Européen

La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a développé une jurisprudence constante depuis 2009, basée sur un principe simple mais fondamental : les congés payés et les arrêts maladie poursuivent des finalités différentes.

– Les congés payés : permettre au travailleur de se reposer, de disposer d’une période de détente et de loisirs
– Les arrêts maladie : permettre au travailleur de se rétablir d’une maladie engendrant une incapacité de travail

La Jurisprudence Européenne Établie

Plusieurs arrêts marquants ont établi ce principe :
– Arrêt Vicente Pereda (2009): Premier arrêt établissant le droit au report
– Arrêt ANGED (2012) : Confirmation et précision du principe

La CJUE considère que la directive 2003/88/CE sur le temps de travail s’oppose aux dispositions nationales qui privent un travailleur du droit de bénéficier ultérieurement de ses congés annuels coïncidant avec une période d’incapacité de travail .

La Procédure d’Infraction : Vers des Sanctions ?

Les Étapes de la Mise en Demeure

La Commission européenne a entamé une procédure d’infraction formelle contre la France :

1. 18 juin 2025 : Envoi de la lettre de mise en demeure
2. Délai de 2 mois : La France doit répondre et présenter ses arguments
3. Avis motivé possible : Si la réponse n’est pas satisfaisante
4. Saisine de la CJUE : Risque de sanctions financières

Les Enjeux Financiers

En cas de condamnation par la CJUE, la France s’expose à :
– Des astreintes quotidiennes jusqu’à mise en conformité
– Des amendes forfaitaires pouvant atteindre plusieurs millions d’euros

L’Évolution Récente du Droit Français

Les Signaux de Changement

Plusieurs éléments montrent une évolution progressive du droit français :

La Cour d’Appel de Versailles (2022) a rendu un arrêt favorable au report des congés en cas de maladie pendant les vacances, s’alignant sur la jurisprudence européenne .

Le Ministère du Travail a publié des recommandations sur ses sites officiels, conseillant aux employeurs de suivre la jurisprudence européenne « afin d’éviter tout contentieux inutile » .

La Loi DDADUE de 2024 : Une Réponse Partielle ?

La loi DDADUE du 22 avril 2024 a introduit l’article L.3141-19-1 du Code du travail qui prévoit : « lorsqu’un salarié est dans l’impossibilité, pour cause de maladie ou d’accident, de prendre au cours de la période de prise de congés tout ou partie des congés qu’il a acquis, il bénéficie d’une période de report ».

Cependant, cette formulation reste ambiguë :
– Vise-t-elle uniquement les salariés qui n’ont pas pu prendre leurs congés ?
– Inclut-elle ceux qui sont tombés malades pendant leurs vacances ?

Le fait que le Ministère du Travail continue de se référer à la jurisprudence européenne plutôt qu’à cette disposition suggère que l’interprétation reste incertaine.

Les Conséquences Pratiques pour les Salariés

La Situation Actuelle

Pour les salariés français, la situation reste précaire :
– Pas de garantie légale de report des congés en cas de maladie pendant les vacances
– Dépendance aux dispositions conventionnelles ou à la bonne volonté de l’employeur
– Insécurité juridique face à des jurisprudences contradictoires

Les Recommandations Pratiques

En attendant une clarification législative, les salariés peuvent :
– Vérifier leur convention collective
– Négocier avec leur employeur en s’appuyant sur la jurisprudence européenne
– Se rapprocher de leurs représentants du personnel

Les employeurs ont intérêt à anticiper et à appliquer dès maintenant le droit européen pour éviter les contentieux.

Les possibilités d’évolution en matière de gestion des CP en cas de maladie

Les Scénarios Possibles

Trois issues sont envisageables :

1. Modification législative rapide : Le gouvernement français pourrait céder à la pression européenne
2. Évolution jurisprudentielle : La Cour de cassation pourrait réviser sa position de 1996
3. Résistance et sanctions : Maintien de la position française avec risque de condamnation

L’Impact sur les Relations Sociales

Cette évolution aurait des conséquences importantes :
– Amélioration des droits des salariés en matière de repos effectif
– Coûts supplémentaires pour les entreprises (organisation, remplacements)
– Harmonisation avec les pratiques européennes

Vers une Harmonisation Inévitable ?

Le conflit entre la France et l’Europe sur les congés payés en cas de maladie illustre les tensions entre souveraineté nationale et intégration européenne. Cependant, la pression exercée par la Commission européenne et la jurisprudence établie de la CJUE laissent peu de doute sur l’issue probable de ce conflit.

La France devra vraisemblablement s’aligner sur le droit européen, soit par une évolution jurisprudentielle, soit par une modification législative. Cette harmonisation, bien qu’elle représente un coût pour les entreprises, constituera une avancée significative pour les droits des salariés et leur droit effectif au repos.

L’enjeu dépasse la simple question des congés payés : il s’agit de garantir une protection sociale effective et de reconnaître que la maladie, même pendant les vacances, ne doit pas priver les travailleurs de leur droit légitime au repos et à la détente.

Points Clés à Retenir :
– ✅ Report possible si maladie AVANT les congés
– ❌ Pas de report en droit français si maladie PENDANT les congés
– Droit européen : report obligatoire dans tous les cas
– ⚖️ Procédure d’infraction en cours contre la France
– Échéance : septembre 2025 pour la réponse française